jeudi 27 avril 2017

Un ordre pour tous, une femme aux yeux verts. De Ignacio Tomás

Dimanche 27 Avril, 2014

Province de Ségovie. Photo Sabine H.

Paco de Lucía, lorsqu’il joue « Ojos verdes », prodigue sagesse, théologie, connaissance ; quel plaisir de l’écouter, comme il me manque. Et je ne suis qu’un fan, un auditeur.

Borges raconte l’histoire d’un premier de classe érudit et savant qui tombe sur une tribu vivant dans une sauvagerie muette ; il décide de vivre avec ses membres pour les mettre sur la bonne voie: dans leur mutisme, ils se font comprendre, et l’érudit finit par se rendre compte que toutes ses idoles sont là: Aristote, Platon... Il voulait les convertir au savoir, alors que l’ignorant c’était lui.

L’ignorant c’était lui: cette certitude que démontre dans son intégralité l’effet Dunning-Kruger est la maxime sociale régnante. Chacun se considère assez savant pour imposer sa norme, peu se rendent compte de leur propre ignorance, encore moins la reconnaissent et lorsqu’ils sont humiliés, ils apprennent à nouveau: chacun veut imposer la société parfaite à tous les autres. Nous voyons dans cette répétition la redondance de l'ignorance persistante dans les structures que nous subissons aujourd'hui - car nous ne vivons pas et jouissons encore moins de la société d'aujourd'hui: nous la subissons. Les États-Unis veulent imposer la « démocratie » dans le monde parce que nous sommes tous des peuples attardés, eux sont les avancés. Ce peuple a de l'argent et des couches d'humilité: elle est si entière et propre qu’ils n’en ont rien utilisé.

Nous tombons tous dans l’un ou l’autre de ces pièges à un moment donné, et la réalité nous en libère: l’évolution c’est que pour être une femme, l’on doit t’offir un châle de Manille durant les courses de taureaux ; pour être un homme, l’offrir, ou être le torero; la musique émane du grégorien et a donné les orchestres et Bach ; de la même racine surgit l’évolution qui donne le flamenco, comme je l’indique dans « La Relation », dans mon « étude du temps ».

Tous convergent vers le nouvel ordre mondial: parce que « c’est le progrès », ou à cause du caractère inévitable d’un évolutionnisme transfusé à la société, par la force de la globalisation ou de l’anti-globalisation: tous convergent sur la « nécessité » d'un nouvel ordre mondial, les seules divergences sont dans la nuance - très légère - tant il est magnifié et acclamé par elle.

Tous se basent subrepticement sur la certitude d'une situation solide et irréversible, vers un avenir auquel tendre parce ce que c’est « le progrès », « l’évolution » - chez les plus audacieux, évolution qui est aussi irréversible et inévitable.

Ils disent ne pas croire en Dieu mais ils croient non seulement au caractère inévitable du destin, mais aussi en un destin déterminé à la connaissance duquel ils ont accédé – tous – par leur certitude scientifique inévitable ; et tous ont cette certitude, dans une pensée univoque ; aucun ne pense obéir à un Diktat: « Si deux personnes pensent pareil, il y en a une qui pense pour les deux », énonça Mark Twain: d’autant moins lorsqu’ils réfléchissent tous - la plupart - sauf exceptions très isolées.

Jusqu’au bachot, tu élabores ta légende personnelle, à laquelle tu t’accroches un temps: seul celui qui se libère de sa légende personnelle est mature; mais ceci exige de se pencher sur l'abîme, qui n’est pas un lieu facile; ainsi, la légende personnelle configure et définit ta vie: celui qui ne surmonte jamais cette étape ne se dépasse pas, il se stabilise dans un équilibre instable pour la vie: l'immaturité est plus légère. C’est au bachot que tous passent un examen que même s’ils réussissent, ils en ignorent toute la matière: la capacité de résoudre des équations du deuxième degré ne signifie pas leur compréhension; l'admiration d'un tableau n’inclut pas la compréhension du processus de l'art: personne en deuxième année de bachot ne comprend Saint Jean de la Croix et Sainte Thérèse, personne ne comprend le Romancero gitano, encore moins le Poète à New York; aucun enseignant ne peut expliquer le cubisme, le surréalisme, les supercordes ou l’histoire; si quelqu’un a une formation suffisante il connaît le sujet, nous supposons même qu’il le comprend: l'étudiant ne peut pas le comprendre, jamais d’emblée, jamais sans avoir fait un chemin dans la vie qui le conduise à un résumé ; au cubisme, à la déception, à la douleur ou à l'abstraction.

Il y a des cas exceptionnels: on les cache.

On ne peut la comprendre mais on l’approuve ; on ne la comprend pas mais on la divinise: c’est ainsi que l’on conçoit la « science » ; si quelque chose à un arôme, une odeur ou une apparence « scientifique », c’est bien; mêlez ça avec la légende personnelle, vous commencerez à voir l'ampleur de la catastrophe; ajoutons enfin que la seule certitude scientifique est technologique: tout mécanisme, dispositif ou système qui est justifiable est une certitude retentissante. (Escher est pourtant ignoré dans tout ce système d'analyse) C’est ainsi que la technologie est divinisée: Marinetti vilipendé, ses idées sublimées.

Il n'y a pas de place pour le mystère dans ce système: si j'étais un lecteur caché, je ne prétends plus comprendre le mystère. Le mystère est une vérité simple: il y a des choses que l’on ne comprend pas. Il y a des choses que je ne comprenais pas, il y a des choses que je ne comprends toujours pas mais je fais des progrès dans ma compréhension: j’essaie de  viser haut [estoy dando caza al alcance, référence au poème de Saint Jean de la Croix, NDLT]. Comprendre qu’il y a des choses qu’on ne peut pas comprendre, c’est assumer le mystère de la vie. Ainsi, une ancienne religion qu’il y avait en Espagne – elle s’appelait catholicisme – énonça la Très Sainte Trinité : c’est incompréhensible, c’est l’œuvre de Dieu : il y a au-dessus de moi une entité supérieure que je ne comprends pas, à la compréhension de laquelle je n’accède pas et dont le dessein est insondable : la Très Sainte Trinité existe, je ne le comprends pas, mais je laisse dans un coin de la soupente cette certitude qui me justifie dans l’humilité : j’arrive où j’arrive, et avec un effort, je fais un pas de plus.
Qui fait l’effort.

Tout comme tu as passé l'examen sans connaître le sujet, tu avances dans ton imaginaire de certitudes scientifiques fondées sur des rigueurs technologiques, en ignorant ton incapacité manifeste: nous sommes tous des super-héros en slip; pas tous ne mûrissons (de fait, je me promène toujours avec mon sabre laser) ; la conscience sait que tu es « incomplet », raison pour laquelle tu t’intègres dans la société, tu as besoin de société pour « être », même si en réalité tu ne fais que parader avec ta légende personnelle: tu n’es pas, tu parais; tôt ou tard ton costume tombe: actuellement, Les habits neufs de l'empereur sont à la mode à cause du scientisme ; moi, qui suis unique, je pense toujours au retable des merveilles de Cervantes. Penrose est beaucoup plus ennuyeux, vraiment, et moins réel, moins magique: je me suis conformé aux mantras, amplement: seulement, moi, j'ai lu les livres, et oui j’ai fait des efforts de compréhension, et j’ai réfléchi selon ce critère: tous savent la vérité sauf moi.

Et je vais, cultivé et instruit, faillible et erroné, conscient de tout ceci et cherchant sans cesse: quaerendo invenietis, que chacun fasse avec ce à quoi il consacre son temps.

Si tu te justifies en société, tu as besoin de la mode pour y être et ne pas perdre ton emploi, ou celui auquel tu aspires: la propagande là-dehors sait très bien diriger ses messages pour que tous aspirent à un statut ou le désirent, s’adaptent à une mode, agissent et vivent d'une certaine façon ; même tes désirs sont conduits: c’est ainsi que s’est imposée la correction politique : s’il est bon de savoir l’anglais pour comprendre des choses étrangères, on en est arrivés à ce qu’il est devenu nécessaire ; maintenant, aujourd'hui en Espagne, l’on se vante fièrement de son ignorance de sa langue et de sa connaissance de l'anglais.

Peut-on être plus stupide.

Se basant sur le scientisme, les anti-américains furibonds réclament maintenant – toujours à grands cris, toujours en majorités – un système américain d’organisation nationale; sur la base de ce même scientisme, l'histoire refuse de s’adapter à une réalité qui se désagrège de partout: dans l’horrible passé, des historiens diplômés et connus ont proclamé que « Le cid était franquiste » et toutes les conneries de sublimation infantiles « les miens ont toujours été les bons, même avant » ; le passé doit être terrible pour justifier les actions d’aujourd’hui, les actes, les attitudes et les exaltations, parce qu’il n’y a « pas d'autre choix » et parce que c’est pour « un avenir meilleur » ; chaque nouveau jour est l'avenir promis hier, et c’est chaque jour pire. Il y a toujours une justification pour toute gaffe, on avance vers ce futur promis et prometteur, de terres de promiscuité, de promesses de délices et plaisirs impérissables.

C’est dans ce magma humanoïde que s’est assise la certitude de la « démocratie » ; le système s’installe à sa guise: bien que nu comme l'empereur dans ce retable des merveilles, l'affaire ukrainienne met tout en évidence. J’ignore la solution ou les intentions de Poutine ; mon admiration pour le peuple russe est manifeste ; j’ai écrit sur la beauté des femmes ukrainiennes. Ce n’est pas ceci que l’on élucide ici: le fait est que le système mis en évidence préfère mener une guerre (62, modelo para armar) [roman de Julio Cortázar, NDLT] plutôt que de reconnaître son échec, accepter son erreur, s’annuler et mettre de côté et laisser la place à un système basé sur un passé qui lui, avec certitude, a transmis évolution et connaissance.

Je suis très proche d'un ukrainien, et plus encore des ukrainiennes ; au XVIIème siècle, la noblesse européenne allait chercher épouse là-bas ; les femmes y sont des beautés légendaires – je le confirme; je suis très proche d'un nord-américain et d’un russe: beaucoup plus proche de ces gens que de mon gouvernement; et eux plus proches de moi que de leur gouvernement ; pourtant, ceux qui dirigent disent qu'ils représentent le peuple, cette entité aussi mythologique que le Sphinx.

Sur cette base, personne n'ose prendre parti en Ukraine depuis l'extérieur, personne ne choisit un camp car l'empereur est nu ; même les membres les plus visibles du système sont mis au grand jour: nous ne savons pas si « les autres » sont mauvais, mais nous nous sommes rendus compte  que « les nôtres » ne sont pas les « bons ».

Ni le choc de la propagande, ni aucun Circus Maximus ne parviennent maintenant à nous distraire de la réalité; les légendes personnelles sont toutes tombées, partout; le système technologique tombe le masque, apparaît au grand jour: ces légendes pourront encore s’imposer quelque temps, mais tous les mensonges sont tombés; tout est mis en évidence. Ce système mort meurt en tuant. Même si les acteurs du système persistent dans leur scientisme, leur nouvel ordre et leur troisième voie, nous savons que toutes ces arguties ne sont que ruses du système pour sa propre perpétuation.

Un disque posthume de Paco de Lucía est paru qui m’émeut profondément: il y a des choses inévitables, ce qui n’est pas le cas de la structure de l'Etat ou la société aberrante que l’on veut nous imposer coûte que coûte.


Mais dans les fissures il y a Dieu, qui rôde.

Traduction : Sabine Haxhimeri

jeudi 16 février 2017

Hommage au Dieu Apollon

Dans ma reconversion professionnelle du monde de la musique 'classique' au monde de l’assurance en 2010, le plus douloureux à vivre a été la méconnaissance du grand nombre de ce qu’est l’administration de la musique et des arts en général. Lorsque je dis que j’ai travaillé durant 17 ans au Staff de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, on me demande souvent si je faisais ça à côté de mon travail; dans mon poste actuel, on a eu tendance à vouloir m’expliquer au début comment faire une photocopie et prendre un message téléphonique…

Pareil pour les musiciens de l’orchestre, à qui on demande parfois s’ils font ça à côté de leur job. Il faut expliquer, expliquer et encore expliquer que le métier de musicien professionnel est un vrai métier, exigeant et éprouvant. Heures de répétitions; toujours il faut remettre l’ouvrage sur le métier, et le trac est à la hauteur de ce que l’artiste peut être exposé et mis à nu devant son public. Astreinte à la discipline, douleurs articulaires – les musiciens sont parfois assimilables aux grands sportifs ! S’ils sont fortement syndiqués, c’est précisément parce qu’il y a eu tendance dans l’histoire à les payer au lance-pierre, sous prétexte qu’ils exercent un métier qu'ils aiment.

Travailler dans la culture, dans un théâtre, dans un musée, dans un conservatoire, ce n’est pas une sinécure, un bénévolat pour dames oisives. En ce qui concernait mon occupation, il s’agissait d’assurer, avec mes 8-9 collègues et sous la houlette d’un administrateur-homme-orchestre lui-même, la parfaite organisation d’une centaine de concerts donnés annuellement en Suisse et dans le monde par un orchestre d’une quarantaine de musiciens : une PME en marche. Recherches de financements, gestion des personnels, du budget, logistique, lutrins, pianos, plateaux, partitions, tournées, publications, publicité, vente de billets, relations publiques, presse, auditions, relations avec les politiques, multiples réunions, etc. J’en oublie. Tâches vastes, complexes, délicates, stressantes. J’ai le souvenir de périodes « coup de feu » d’octobre à avril, où le téléphone ne dérougissait pas de la journée.

Administrer un orchestre, c’est un métier complet que je comparerais à celui de l’architecte, qui doit planifier à long terme et réunir de multiples corps de métier pour faire aboutir son projet. Au bout de tant de brassage de paperasseries, de négociations à l'interne comme à l'externe, la récompense, c’est … le concert, la musique ‘live’, les musiciens qui se sont faits tout beaux et qui s’animent, le programme imaginé trois ans en amont qui prend vie sous vos yeux et dans vos oreilles ! Un miracle en équilibre.
Le paradoxe est que pour ménager cette magie, l'activité des ‘petites mains’ doit rester invisible, en coulisses, c’est là toute l’ingratitude et à la fois la noblesse de ces métiers.

Les arts, la musique, c’est une marchandise aussi, qui s’échange, et lorsque vous avez 1'500 personnes qui ont acheté un billet de concert, elles ont une exigence légitime à «consommer» un événement à la hauteur de ce qu’elles en attendent. Sérieux, professionnalisme et qualité sont de mise.

J’en viens au vif de mon sujet : il m’est maintenant insupportable d’entendre certaines réflexions  - non réfléchies - sur les métiers de la culture ; souvent, ce qui est non-formulé, c’est que ce n’est pas un business vital, essentiel. Les arts seraient ‘inutiles’, un ‘luxe’. Or c'est le contraire ! La musique et les arts sont essentiels et nourrissent notre âme. Ils nous transcendent et malgré leur apparence éphémère, sont pérennes et transmettent l’esprit, la vie.

(Le parti pris de l''inutilité' de l'art nous vient de la société du profit, c'est idéologique. Il fut des temps ou l'on trouvait naturel de payer les heures de l'ouvrier qui embellissait un plafond avec une moulure, le tailleur de pierres pour ajuster longuement une voûte, le peintre pour parer un mur ou une église).

A l’inverse, je trouve qu’il est bien inutile, vain et polluant de construire et vendre à outrance des voitures, des frigos, des gadgets, des téléphones, des habits, de l’électroménager à la noix, toutes choses matérielles et superficielles qui finiront leur stupide vie d’objets inanimés à la poubelle, dans leur obsolescence programmée. La fameuse société de con-sommation n’apporte rien à l’humanité, au contraire, elle appauvrit les êtres et les asservit.

Courte vue ont aussi ceux qui critiquent la subvention publique dans les arts : elle permet justement de les rendre accessibles au plus grand nombre, puisque s’agissant d’artisanats de haut niveau, ils ont un coût élevé. La qualité a un prix, oui ; à partir de là, à nos sociétés de savoir ce qu’elles veulent léguer à leurs descendances : Justin Bieber ou Mozart, Lady Gaga ou Chopin, Rieu ou Chaplin, David Hamilton ou Goya (non, pas Chantal : Francisco), Paris Hilton ou Basquiat. Sans compter que les retombées tangibles, positives, de l’investissement public dans ce domaine sont avérées ; elles sont profitables à nos communautés, économiquement et culturellement.

Le meilleur des mondes… serait celui où, nécessités vitales minimales comblées (nourriture, logement, mobilité - je ne parle pas là de moyens de transport mais d'ouverture des frontières), les êtres humains échangeraient essentiellement de la musique, des écrits, de la poésie, des dessins, des idées, de la peinture… Mais je rêve.

A Bons Entendeurs, salut et considération.

mardi 29 mars 2016

Les mignons de Philippe d'Orléans

J'entends que Louis XIV est évoqué dans les essais pédagogiques sur le 'genre' donnés aux petits français: on explique que garçonnet, il était garni de fanfreluches et habillé comme une fille. Ceci est sensé expliquer à notre jeunesse que c'est la raison pour laquelle il ne faut pas être homophobe. Bien. Ne vous en faites pas, ils auront le temps, adultes, de savoir que Jules César était à peu près bisexuel. Qu'Auguste se fit prendre par Marc-Antoine, raison pour laquelle il le détesta à vie par la suite, même s'il conclut des triumvirats avec lui par intérêt et soif de pouvoir. Que Sappho, poétesse grecque antique de l'île de Lesbos, écrivit de merveilleuses strophes sur l'amour. Ils liront Platon. Ils découvriront qu'Aimer à l'italienne n'est rien de nouveau dans l'histoire. Ils apprendront également que tout excès est nuisible, que toute liberté comporte responsabilité, et que le pendant des droits sont les devoirs.

Sur "papa porte une robe" (manuel fumeux émis par la désintruction française); la mode vestimentaire ne prouve rien en effet, et de nombreux papas actuels portent un burnous en France. Je me demande ce qu'en pense Caroline Fourest.

Afin de ne pas mettre la charrue avant les boeufs, il serait salutaire que notre progéniture apprenne d'abord à lire, à écrire et à compter. A l'âge idoine, leur expliquer que les enfants ne naissent pas dans les roses et répondre à leurs questions. Vouloir leur apprendre à penser est totalitaire. Dans nos pays, les lois sont là qui protègent les homos depuis 30 ans, réjouissons-en-nous; si délits ou coups sont constatés, la loi doit être appliquée. Le reste est de la propagande lacrymogène et contre-productive. L'égalité des sexes et des humains, c'est d'enseigner à nos enfants les mêmes choses- et si possible pas des idioties ou des contre-vérités.

Si je reparle de Louis XIV, c'est parce que c'est bien le dernier exemple qu'on puisse donner d'homme efféminé ou ambigu. Je comprends dès lors a fortiori l'entreprise de désinformation sur cet homme, lorsque Marion Sigaut nous apprend que l'on n'enseigne plus aux écoliers l'histoire de France depuis Henri II jusqu'à la révolution française (no comment). Il s'avère que je me suis toujours beaucoup intéressée à celui qui parcourut à la tête du pouvoir une moitié du 17ème siècle jusqu'au début du 18ème; peut-être à cause de cet exploit; peu d'hommes ou de femmes se maintiennent longtemps au pouvoir; pour le meilleur et pour le pire forcément.

J'aime beaucoup ce 17ème siècle, - même s'il fut le théâtre de terribles guerres et parjures - à cause de sa fécondité artistique; aussi parce que la voix des femmes y est assez claire; on les entend, dans la littérature et l'histoire de cette période. Des femmes de pouvoir, des religieuses, des guerrières, des penseuses, lettreuses, précieuses ridicules ou brillantes, elles s'expriment, de Sévigné à Scudéry en passant par Ninon de Lenclos, Armande Béjart, la Palatine, etc.. De nombreuses correspondances et écrits témoignent de cette liberté dont ont pu jouir, dans une certaine mesure, les femmes- des classes plutôt aisées; l'argent semble rester une variante intangible dans le droit à ouvrir sa gueule ou pas, à faire ce que l'on a envie ou pas.

J'ajoute que la propagande joue sur des siècles: pourquoi les femmes de ce siècle nous semblent mieux connues et plus médiatiques que les lettrées du Moyen-âge; c'est peut-être parce que l'on veut absolument nous faire croire que le Moyen-âge était une période épouvantable, sombre, noire, ou les prétendues Lumières n'étaient point encore surgies pour éduquer le bas peuple et le préparer à la révolution industrielle et financière. On y entend et lit pourtant de nombreuses femmes, poétesses, mystiques ou inspirées, créatives et guérisseuses. 

Si je parle de Louis XIV, c'est parce que de présenter ce monarque comme un efféminé est tout simplement de la manipulation et de la malhonnêteté intellectuelle. De la non-histoire caractérisée. Si ce monarque fut vêtu en fille, enfançon, comme il nous arrive de jouer dans notre enfance où les boucles sont blondes chez les deux sexes, il n'en fut pas moins aguerri dès 7 ans à l'astreinte de l'exercice militaire, de la cavalcade, de la chasse, de l'apprentissage de la guerre. Astreint à l'apprentissage de l'histoire, des lettres, des calculs, de la philosophie des antiques. A parler des langues. Plus tard Mazarin le drilla à l'art de la diplomatie. Ce fut douloureux même: Louis dut renoncer à une jeune femme qu'il aimait pour en épouser une autre, qu'il n'aimait pas. Apprentissage de la Realpolitik. Un homme marié contre son gré, à méditer.

Louis XIV est l'archétype, pour le pire, du patriarche tant honni, qui révoque l'Edit de Nantes, qui fait souffrir ses maîtresses et son épouse, qui déclare des guerres- et pour le meilleur, d'un homme plutôt couillu, aimant les femmes à la passion, la chasse, le grand air, le corps à corps. Bon mangeur, danseur et poète, bon musicien. Fécond! Des quantités d'enfants. Pas une chochotte.

Philippe d'Orléans (1640-1701)
Parlons plutôt de son frère, Philippe d'Orléans, homosexuel parfaitement déclaré dès sa jeunesse. La légende veut que c'est délibérément qu'on le fit grandir en fille, afin qu'il ne s'avise pas de s'opposer à son frère aîné et revendiquer le pouvoir royal. Toute sa vie poudré, fardé, parlant pointu, incarnant le pire de la harpie: traître, lâche. Il envisagea paraît-il d'éliminer son frère Louis XIV par le poison, manipulé par des cabales qui voulurent supprimer le jeune roi. Il semble qu'il empoisonna sa première épouse Henriette d'Angleterre. Le rédhibitoire chez lui n'était pas son homosexualité, mais sa misogynie et le sinistre personnage veule qu'il compose.

J'en viens au vif de mon sujet; j'apprends ces dernières années que devient de plus en plus précis un sordide trafic d'enfants, dans de hautes sphères que le commun des mortels ne peut cerner mais dont il pressent leur terrifiants vice et impunité. Louis XIV fut confronté à l'affaire des poisons; cette affaire ainsi nommée recouvrait entre terribles crimes, un immonde trafic d'enfants, utilisés dans des rituels sataniques et détraqués, violés, tués, anniquilés.

Lorsqu'il fut informé pleinement de ces trafics, le monarque fut horrifié. Ce fut très douloureux pour lui d'ordonner les poursuites qui s'imposaient dans cette affaire, car sa propre maîtresse était de ce réseau malsain- pour user de potions, non pas létales, à sa décharge, mais qu'elle lui administrait en douce et destinées à conserver l'amour et le désir du roi pour elle: bave de crapaud, rognures d'ongles d'abbés prépubères, et autres appétissants ingrédients.

Mais Louis XIV frappa du poing sur la table et trancha, en ordonnant que soit sinon punie, du moins écartée du pouvoir et empêchée de nuire cette jet-set immorale et débauchée qui cessa de sévir.

Sabine Haxhimeri

dimanche 20 décembre 2015

Iphigénie 2012

Ma bible, c'est l'Iliade et l'Odyssée. Dans les Best-Sellers des derniers millénaires, je préfère les aventures d'Ulysse, Hélène, Agamemnon, Pâris, Priam, Achille... Ces héros sont manipulés par des dieux multiples et imparfaits, sans morale: Zeus, Héra, Athéna, Arès, Neptune... jouissent de leur vie céleste sur le Mont Olympe; trop occupés à leurs propres affaires, ils s'amusent de temps en temps avec les êtres humains, leur administrant peines et joies puis les laissant se débrouiller avec; ce en quoi je les trouve bien plus réalistes, plausibles et accessibles, attachants, que ce bizarre grand dieu vengeur et masculin qui fait sa pub, barbu et moralisateur qui, soi-disant, voit tout et nous promet des tas de lendemains qui chantent, lendemains qu'on demande à voir.



...En particulier dans l'Iliade, l'histoire d'Iphigénie me bouleverse depuis toujours. Cette jeune femme au printemps de sa vie, belle, fine, gage de vie, de fertilité, de création, de beauté, de potentialités prêtes à s'épanouir, doit être sacrifiée, mise à mort par son ... propre père, qui ainsi, selon le devin, bénéficiera du vent qui permettra à sa flotte d'aller taper sur les Troyens.

Un père doit tuer sa fille pour sa patrie - ô épouvantable et cornélien dilemne, c'est la tragédie; Iphigénie, pourtant, n'hésite pas : Père, puisqu'il faut se sacrifier pour la patrie, j'y vais, sans larmes, et honorée.

Je me suis toujours demandée qui était Iphigénie, qui pourrait être son personnage équivalent dans notre monde moderne, jusqu'à ce qu'aujourd'hui, je comprenne enfin qu'Iphigénie, c'est une abstraction, c'est l'innocence; c'est nous, le peuple, la chair à canon, la fleur de l'innocence envoyée à la boucherie par ses propres parents. Ce ne sont pas les vieux qui font la guerre - eux en décident - ce sont les jeunes. Les jeunes sont forts, ils y croient. Ils veulent être des héros, se battre pour des causes. C'est toute leur noblesse. Ils meurent au front.

Différents auteurs, des centaines d'années après Homère, ont édulcoré la fin de l'histoire: au moment du sacrifice, Iphigénie est remplacée par une biche, ou une colombe. Mais le mythe reste cruel et implacable: Chronos continue à bouffer ses enfants.

Juin 2012